Quelle place pour les TIC dans une formation nouvelle ?
La question est complexe. Il ne s'agit pas de s'inscrire dans les schémas habituels bien connus et donc d'utiliser les TIC comme outils d'amélioration apparente des pratiques et des organisations
existantes sans changer le fond. Mettre de la confiture sur la tartine n'a jamais changé le pain, même si parfois, elle réussit à rendre mangeable le plus mauvais.
Il s'agit de rechercher les moyens d'utiliser les TIC comme vecteurs d'une transformation fondamentale de la pédagogie de la formation qui facilitera elle-même la transformation fondamentale des pratiques en classe avec les élèves.
Le problème est d'autant plus important que le choix, conscient ou inconscient, des modèles pédagogiques utilisés par les enseignants est beaucoup plus influencé par les pratiques qu'ils ont connues en tant qu'élève que par leur formation.
Ce constat pose d'ailleurs le problème de l'efficacité de la formation.
On ne l'a jamais vraiment évalué mais on est souvent surpris d'observer la persistance de pratiques très anciennes malgré la formation initiale professionnelle dont on peut supposer, on l'en accuse même, qu'elle était plus ou verte et plus moderne que dans le passé. Les gouvernants peuvent d'ailleurs utiliser l'argument pour justifier les mesures drastiques récentes allant vers la suppression de la formation professionnelle. Mais on pourrait, on aurait pu analyser le phénomène pour améliorer la formation plutôt que la détruire
Une réflexion collective, des échanges entre et avec les enseignants intéressés, me semblent souhaitables.
La question cruciale pourrait-être : comment les TIC peuvent-elles être un levier pour la transformation des pratiques pédagogique des personnels chargés de la formation des maîtres : universitaires, professeurs, maîtres formateurs, inspecteurs, conseillers pédagogiques ?
Evidemment cette question ne peut être traitée que dans la perspective d'un nouveau projet éducatif, d'une autre école pour le 21ème siècle.
Le contexte actuel allant dans le sens de la régression et du retour ou de la persistance de pratiques très anciennes : le cours classique et le modèle applicationniste, il ne nécessite nullement une transformation des pratiques. On peut continuer comme avant. C'est d'ailleurs ce qui est demandé par l'institution. Mais dans une école nouvelle, les changements seront indispensables.
La première piste est relative à l'exploitation et à la production de montages vidéo sur des moments pédagogiques. La réalisation de vidéos comprenant la totalité du déroulement de séquences n'a
aucun intérêt. On retrouverait dans ce cas les inconvénients du modèle applicationniste évoqué ci-dessus. De plus, on sait que la capacité d'attention devant un montage vidéo est encore nettement
plus faible que devant une séquence de classe réelle. Dans une séquence réelle classique, il n'est pas rare de voir des étudiants jouer au morpion au fond des classes, ce qui peut se comprendre.
L'observation d'un déroulement immuable - contrôle des acquis, présentation de la notion nouvelle, explication magistrale, exercices d'application, contrôle - n'a vraiment rien de passionnant.
Il rappelle en fait les déroulements des séquences que les étudiants ont vécues quand ils étaient élèves. Dans une séquence vidéo de même durée, on pourrait s'attendre au pire. Il faudrait donc filmer beaucoup pour isoler des moments ciblés par rapport à des objectifs du programme de formation et produire des enregistrements et des montages courts, avec une introduction synthétique présentant le contexte.
Ces documents devraient constituer une « banque de moments pédagogiques ». On sait que la formation pédagogique manque de « matière », que les comptes-rendus linéaires des
séquences sont inexploitables, que les témoignages sont subjectifs. Il y a toujours de grandes différences entre ce que l'on a prévu de faire, ce que l'on a fait réellement, ce que les élèves ont
fait effectivement et ce que l'on peut dire de ce que l'on a fait.
On peut aussi imaginer que des équipes d'élèves-professeurs s'initiant à la pédagogie du projet, réalisent des interviews d'enseignants et de parents sur des questions éducatives précises ou des
montages sur les problèmes repérés au cours des stages. Il est évident qu'un stage dans le cadre d'une nouvelle formation professionnelle, ne peut être programmé que dans une école ou un
établissement, pas d'une classe sans regard sur l'amont et l'aval.
Ce type de projets pourrait être un moyen important de lutter contre l'ennui et de faciliter la liaison théorie/pratique.
Dans un environnement où les caméras numériques et les logiciels d'exploitation des images stockées sont si répandus, il est pour le moins étonnant que l'on puisse demander à des stagiaires de
prendre des notes que personne n'utilisera alors que leur activité pourrait être une activité de production et que les produits pourraient être utilisables et utiles à d'autres étudiants et à
d'autres formateurs.
L'idée que les apprenants soient eux-mêmes des producteurs de savoirs est une idée neuve.
Elle pourra être transposée aux pratiques scolaires dans la classe. Les élèves producteurs de savoirs et pas seulement récepteurs ou « applicateurs » relève d'une pédagogie qui rompt avec les
traditions et les habitudes.
L'exploitation de l'informatique peut sans aucun doute ouvrir de nouveaux horizons dans le domaine du traitement des données recueillies dans les classes. Elle pose une quantité de problèmes
éthiques (accord des acteurs) et juridiques, mais le progrès serait impossible si tout était figé par les usages et conventions antérieures au développement des TIC.
Une seconde piste de travail et d'échanges pourrait être le problème des outils du maître. On ne fera pas l'école du 21ème siècle avec les outils du 19ème : répartitions, progressions, fiches de préparation d'une part, cahiers de contrôles, livrets de notation abusivement appelés « d'évaluation », bulletins mensuels ou trimestriels, etc. L'utilisation de l'ordinateur pour les outils existants allège le travail des enseignants mais ne change rien aux pratiques . Il faudra donc consacrer du temps de formation à ce problème important : apprendre à concevoir et à utiliser de nouveaux outils adaptés à une nouvelle pédagogie. La « fiche de prép » classique collective centrée sur le maître et le déroulement, en grand groupe, pour une discipline cloisonnée est obsolète.
Il faut inventer d'autres outils qui prennent en compte les nouveaux enjeux : prise en compte de l'hétérogénéité des élèves, exigence de transversalité, inscription dans la durée.
La visualisation des situations d'apprentissage et de l'activité réelle attendue des élèves exige d'autres modes d'organisation.
L'évaluation, une vraie évaluation, distincte du contrôle des acquis à court terme, qui mesure la capacité de mobiliser tous ses savoirs et ses compétences pour résoudre un problème ou répondre à
une vraie question, est nécessairement transdisciplinaire.
La programmation de situations d'apprentissages exige des outils utilisables dans l'espace (autrement dit, avec les autres profs ou les autres acteurs éducatifs) et dans le temps (continuité et
cohérence de l'action éducative).
L'absence de réflexion et de production sur ces problèmes est un frein à la mise en œuvre des réformes nécessaires.
Ces réformes doivent évidemment être articulées avec une refonte générale des programmes et une volonté partagée de remettre ou de mettre la pédagogie au cœur de la formation professionnelle des
enseignants.
Mais reconnaissons qu'il serait paradoxal de ne pas se mobiliser sur ces enjeux alors que les TIC envahissent l'environnement scolaire, que les élèves les maîtrisent sans même avoir été formés spécifiquement sur le plan scolaire et que les enseignants eux-mêmes, parfois avec l'aide de leurs enfants et de leurs élèves, en sont des usagers intenses dans leur vie extra scolaire.
Les TIC ouvrent de nouveaux horizons si elles ne se limitent pas aux apparences ou à la facilité de conforter les pratiques anciennes en les dépoussiérant ou en les ajustant formellement et si elles permettent les transformations fondamentales dont le système éducatif a besoin.
Ce chantier est immense.
Nul doute que l'An@é est en capacité de le faire avancer.
Tout cela pourra paraître bien utopique. Shakespeare disait : « Ils ont échoué parce qu'ils n'avaient pas commencé par le rêve ».
Pierre Frackowiak
Co-auteur avec Philippe Meirieu de "L'éducation peut-elle être encore au cœur d'un projet de société?". Editions de l'Aube. Mai 2008. Réédition en format de poche, octobre 2009
Auteur de "Pour une école du futur. Du neuf et du courage." Préface de Philippe Meirieu. Editions La chronique sociale. Lyon. Septembre 2009
5 Certificat d'aptitude aux fonctions d'enseignant maître formateur dans le premier degré
6 L'informatisation des bulletins de notes et des résultats aux contrôles des acquis ne change rien aux pratiques. Nous sommes dans le domaine de l'administration et de la gestion, pas du tout
dans celui de lé pédagogie. Le problème, c'est que l'on se satisfait souvent d'une modernisation apparente si elle ne remet rien en cause.