(Extrait colloque An@é)
Liens entre violence à l’école et globalisation
Je vais vous parler rapidement de problèmes de violence à l’école comme défi éducatif, des liens entre violence à l’école et globalisation ou prendre la violence comme un problème de plus en plus global .
La recherche internationale s’est beaucoup structurée sur ces problèmes de violence à l’école. Nous travaillons beaucoup en France par enquête directe auprès de certaines écoles. Le problème de la violence est un problème qui sollicite la plupart des états dans le monde, énormément les praticiens, et de plus en plus les chercheurs. Il existe une structuration de la recherche à ce niveau là.
Le siège de l’Observatoire Européen de la Violence en Milieu Scolaire (qui est à Bordeaux) fédère plus d’une quinzaine d’équipes en Europe dont au moins une dizaine de pays. Il y a donc une mobilisation scientifique autour d’un problème global. Il existe des échanges très forts entre l’Europe et l’Amérique du Nord et l’Amérique latine(colloque à Rio de Janeiro en 2005).
Le problème de la mesure de la violence à l’école tient du fait qu’il y a des sources officielles extrêmement rares (elles existent en France) et relativement peu suivies. Parfois, après un événement important, une fois la fièvre médiatique retombée, on oublie que si on veut des statistiques fiables il faut qu’elles soient extrêmement suivies avec des méthodologies identiques et des recueils de statistiques qui servent à autre chose qu’à calmer le jeu médiatique.
Ces sources sont aussi souvent peu fiables par essence. Il est indispensable d’avoir des statistiques mais ne nous contentons pas seulement de ce type de statistiques là.
Un exemple en France : si on observe le débat sur la violence à l’école, les renseignements remontent une fois de temps en temps, mais au moins cela a le mérite d’exister, et c’est un des seuls pays qui le fait. Si je vois le nombre de signalements faits par le logiciel Signa, on se rend compte que le nombre de cas de rackets est de 600 par trimestre. Ces cas, analysés, si on fait le pourcentage par rapport à la population scolaire correspond à 0,01%. Si on fait la même chose avec le racisme, c’est 300 cas soit un chiffre inférieur à 0,01%. Donc la violence à l’école n’est pas un problème…… !
Sauf que, quand on fait des enquêtes scientifiques de « victimation » (enquête directe auprès des publics concernés), ce n’est pas du tout la réalité. Les administrateurs de l’éducation nationale le savent bien, et les parlementaires qu’ils soient de gauche ou de droite le savent aussi.
Un exemple : 8,4% des élèves de collège interrogés en 2000 avaient été rackettés. Mais les victimes ne témoignent pas, il y a la loi du silence, et pas toujours de structure d’écoute. Parce que nous n’avons pas encore une culture d’écoute de la victime (cela commence à venir). Pour les cas de racisme c’est 26% des élèves qui disent avoir souffert d’injures racistes.
Bien sûr cela n’apparaît pas aussi grave que les faits rapportés par l’administration. Cependant, les élèves disent qu’ils ont souffert etenviron 8 à 10 % souffrent de tous les types de victimation. Ces élèves-là sont en très grande souffrance.
La plupart des enquêtes internationales sont basées sur ce type de méthodologie. Aux U.S.A., depuis 33 ans, une enquête est faite sur 80 000 personnes tous les ans. Des enquêtes sur le harcèlement ont concerné plusieurs millions de personnes interrogées. Mais ces données ne sont pas, ou trop peu, utilisées au niveau des politiques publiques.
On sait par exemple qu’on retrouve 6 à 8 % d’élèves harcelés par d’autres élèves dans tous les pays du monde. Et il faut savoir qu’un élève harcelé continuellement présente 4 fois plus qu’un autre le risque de faire des tentatives de suicide à l’adolescence. Donc même les micro violences, les violences mineures que j’appelle de moins en moins des incivilités sont à prendre en compte.
Enquêtes internationales
Je pense au Mexique ou à certains autres pays en Afrique noire qui risquent leur vie à faire une recherche sur la violence à l'école, car elle est très liée à la corruption. Le détournement d'argent public crée des émeutes dans certains établissements scolaires, et ces émeutes sont réprimées durement. Il y a là des choses très difficiles. Les grandes enquêtes internationales nous donnent quelques résultats. Par exemple, l'enquête « Espace Européen à l'Ecole » sur les conduites à risque, alcool et autres drogues, dont une partie concerne la violence à l'école, porte sur 30 pays européens plus les USA, et concerne 95000 élèves interrogés.
Voyez qu'on n’en est pas simplement à des petites enquêtes avec des bouts de ficelle. Au cours des 12 derniers mois, 1,8% des élèves en Europe ont frappé un professeur. 25% ont été mêlés à une bagarre à l'école. 11,4% ont blessé quelqu’un suffisamment pour nécessiter des soins.12.3% disent avoir fait partie d'un groupe ayant persécuté un individu.12,7% disent s'être livrés au vandalisme, et 10,8% ont eu des ennuis avec la police. On a donc là des minorités faibles mais extrêmement agissantes. Si je prends le Brésil par exemple, une enquête portant sur 33155 élèves a montré que jusqu'à 7% des enseignants et 9% des élèves disent ne plus aller à l'école parce qu'ils ont peur. Ils ont peur de la violence.
Notre observatoire montre à quel point il y a un absentéisme lié à la peur de la violence et du harcèlement.
Il faut considérer les élèves absents pas seulement comme des ennemis de l'école mais quelquefois comme des victimes, ce qui rend le problème du traitement global de l'absentéisme par des mesures quelquefois spectaculaires et pénales pas si simples à mettre en oeuvre. On a interrogé l'année dernière plus de 60 adolescents suivis en hôpital psychiatrique après tentative de suicide grave. Dans le tableau clinique de la totalité de ces ados, il y avait des problèmes de harcèlement, des problèmes d'ostracisme, des problèmes de violence à l'école.
Violence à l’école et facteurs socioéconomiques
La globalisation est une globalisation dont tous les économistes, quel que soit leur appartenance idéologique, reconnaissent qu'elles génère de l'exclusion et de l'inégalité. Certains diront provisoirement, d'autres diront que c'est intrinsèque à la globalisation économique, mais il n'empêche que la violence à l'école, contrairement aussi à une vulgate actuelle, est extrêmement liée aux facteurs socioéconomiques qu'on le veuille ou non. Je vous donne quelques exemples.
Lorsqu'on demande aux élèves s'ils considèrent qu'il y a beaucoup, énormément, de violence dans leur établissement, si on est dans une zone urbaine extrêmement défavorisée où la mixité sociale est peu ou pas réalisée, particulièrement en terme de groupes ethniques dominés minoritaires mais majoritaires dans ces lieux là, on a 30 % des élèves qui nous répondent avoir peur à l'école et craindre une très forte violence. Dans une zone populaire mais avec une certaine mixité sociale, c'est 16% des élèves. Lorsque c'est une zone de classe moyenne c'est 10% des élèves, lorsque c'est une zone favorisée c'est moins de 5% des élèves. (Ce qui veut bien dire qu'il faut aussi travailler sur ces 5% d'élèves dans les zones très favorisées).
En terme de choix de politique publique, les politiques de discrimination positive ont en tout cas là un appui certain où les politiques de tentatives de mixité sociale, quelles que soient les difficultés, sont tout à fait justifiées. De 30% à 5% c'est tout de même assez spectaculaire. J'entend dire parfois que les élèves de milieu populaire, « de toute manière ils sont élevés dans la violence et ils aiment ça »… Certes il y en a quelques uns, mais la plupart en ont peur.
Une inégalité au niveau mondial
Une des inégalités sociales les plus profondes c'est l'égalité devant le risque d'être victime de violence. C'est une inégalité au niveau de notre territoire national, c'est une inégalité au niveau mondial. De la même manière au niveau des élèves dans les enquêtes de délinquance auto reportée, ceux qui disent avoir été raquetteurs sont 10% dans les zones les plus défavorisées, contre 3% dans les zones de classes favorisées. Il y a donc une inégalité devant le risque, et il est évident que même s'il n'y a pas une causalité à la violence il n'y a pas une cause seule.
La recherche mondiale est claire sur la question : il n'y a pas un facteur de risque explicatif à lui tout seul : ce n'est pas à cause de la famille, ce n'est pas à cause de l'école, ce n'est pas à cause de la pauvreté. La combinaison de facteurs de risque est, elle, explicative, sans être évidemment non plus totalement fatale, loin de là, on n'est pas dans un déterminisme absolu. Beaucoup de travaux ont montré l'importance de l'effet établissement, ont montré l'importance de politiques publiques qui réussissent à être des politiques non seulement localisées mais avec une aide forte au niveau de l'état ou au niveau des régions. Ce sont ces politiques qui peuvent le mieux réussir.
Comme votre réunion porte sur les défis de l'éducation, la violence à l'école est, parmi d'autres, un des défis essentiels qui malheureusement va se poser de plus en plus, même si on se rassure parfois à bon compte. Cela va se poser de plus en plus et à un niveau mondial. C'est vrai qu'il y a un scénario catastrophe qui est possible et sur lequel il faut lutter chacun à sa place, soit dans l'éducation nationale, soit dans l'économie, dans la politique, à une place de citoyen… Ce scénario catastrophe serait que la globalisation économique, en accroissant l' inégalité, accroisse aussi l'inégalité devant le risque d'être victime, et où on se contenterait d'un monde à 2 vitesses, d'un monde où les pauvres seraient enfermés dans des quartiers où ils peuvent bien être violents, après tout ça leur appartient, et les riches seraient dans des communautés fermées. Comme c'est une tendance de plus en plus importante dans le monde où on ne poserait plus les pieds dans la rue, où on aurait des écoles réservées, l'abandon de l'idéologie d'une certaine égalité des chances à l’école deviendrait en fait, la meilleure arme pour augmenter la violence.
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